je suis née 5 jours après Lily

Tout d'abord des larmes de joie, l'euphorie, l'allégresse.

Depuis mercredi nous mangeons des sandwiches, toute mon organisation est chamboulée et j'étais contente ce matin de reprendre ma vie d'avant.

Mais quelque chose a bel et bien changé. Jusque là je ne le sentais pas. quand on me demandais ce que ça me faisait d'avoir pris du grade je riais car je ne sentais rien.

que s'est-t-il passé cette nuit ?

moi je l'ai déjà fait de mettre au monde 3 enfants.
moi je sais ce que c'est que de bâtir toute une maison
moi je sais comment c'est quand on ne peut pas tout s'acheter.
moi aussi j'en ai donné des tétées.
et j'en ai reçu des messages de félicitations, il y a 27 ans.

j'en ai vécu dans mon couple des tensions et souvent rien qu'à cause de l'éducation des enfants.
j'en ai empilé des kilos à chacune de mes maternités, et j'en ai empilés encore après mais je ne peux pas dire que c'était à cause de mes enfants.

je le savais que cette enfant allait apporter un souffle nouveau dans ma vie.

quand je disais que non, je n'avais pas peur d'être grand-mère et que j'étais plutôt préparée à faire des découvertes, je le pensais vraiment.

Mais depuis hier soir je me vois comme à côté de moi. c'est comme si je m'étais dédoublée, peut-être comme si j'étais morte ? et je me suis demandée pourquoi, que faire, comment revenir en arrière.

plein de mots s'entrechoquent dans ma tête des phrases s'écrivent mentalement et je les corrige tout le temps. depuis hier soir.

j'ai dû faire une sorte d'indigestion de bonheur, d'images, de sourires et de compliments.

ça m'a pris et puis c'est monté crescendo.

maintenant quand je m'endors je pense à Lily. Peut-être parce que ces jours je n'ai regardé qu'elle.

alors ce matin je me suis vue dans le miroir de la salle de bain. mais j'ai vu que ce n'était plus moi.
j'ai déjà commencé à faire mon deuil.
de la femme et de la mère que j'étais encore le mois dernier.

depuis ce matin le rideau est tombé.
- applaudissez l'actrice mesdames et messieurs, et fermez la porte en sortant.

je ne fais plus partie du casting pour ces rôles que j'ai tant aimés. pas encore à la retraite, mais pas vraiment hasbeen, j'ai le cul entre deux chaises et je m'accroche pour ne pas tomber.

je suis hors-jeu pour tout ce qui était mon passé. et c'est dur de laisser le flambeau, même à ma fille.

je ne le savais pas encore mais là j'ai compris. et c'est une autre mamie expérimentée qui me l'a dit "je développe l'instinct de grand-mère" oui je crois que c'est ça. j'étais  chrysalide et je deviens papillon.

j'ai quand même le blues, alors c'est le blues de la grand-mère. et je ne peux m'empêcher de penser à tous ceux que j'aimais et qui n'ont pas pu rester. à ce jeune garçon qui est mort hier en se dérochant à la chasse, juste pour récupérer du gibier. j'ai la nostalgie de la vie qui va un jour s'arrêter. il ne faut pas se voiler la face, un jour je ne verrai plus moi non plus ceux que je ne voudrais pas quitter.

il faut que je me débarrasse de tous ces maux mots qui me trottent dans la tête. ils vont trop me fatiguer.

je vous les livre, ils vont me soulager.

je vous ai refilé le bébé !

ce matin devant mon miroir je me suis dit que je serai plus attentionnée avec moi-même, je vais me protéger.
j'ai commencé par trouver de belles boucles d'oreilles, bleues, bien voyantes. j'ai ouvert un mascara flambant neuf, je me suis passée du rouge sur les lèvres, du crayon bleu sur les yeux.

faut quand même pas déconner, je dois encore paraître belle au moins quelques années !

c'était le blues de la mamie, rassurez-vous, maintenant que je vous ai tout écrit, je me sens quasi guérie !